L’Université McGill a pour mission « d’enrichir le savoir et d’en favoriser la création et la transmission. » Pour remplir cette mission, McGill s’enorgueillit de respecter les principes « de liberté académique, d’intégrité, de responsabilité, d’équité et d’inclusivité. » Ces principes sont incompatibles avec le fait de forcer l’AMPD à un arbitrage sur des questions qui touchent au fondement même de la mission de l’université et au rôle du corps professoral dans la réalisation de cette mission.
Les enjeux qui opposent McGill et l’AMPD concernent la façon de respecter ces principes : les professeurs ont-ils la liberté académique de concevoir et de mettre en œuvre des programmes d’évaluation de la performance des étudiant.e.s, de garantir l’intégrité du diplôme de droit de McGill, d’être responsables les uns envers les autres par le biais d’un dialogue ouvert et respectueux, d’assurer l’équité entre les membres du corps professoral et de se montrer ouverts à la grande diversité des parcours qui composent notre corps professoral et nos étudiants.
Le Code du travail du Québec prévoit que, dans le cas d’une première convention collective entre un nouveau syndicat et un employeur, l’une ou l’autre des parties peut demander au ministre du Travail d’ordonner l’arbitrage lorsque les parties ne parviennent pas à négocier une convention collective. Cette disposition vise à protéger les nouveaux syndicats, qui ne disposent pas de fonds de grève et dont le pouvoir de négociation est limité, du risque d’être écrasés par les employeurs. Elle protège également les employeurs des syndicats qui refusent toute négociation. Cela dit, seuls les syndicats disposent d’un droit de grève protégé par la Constitution, ce qui signifie que ni le ministre ni un arbitre ne peuvent contraindre à la légère un syndicat à un arbitrage obligatoire.
L’arbitrage est un mécanisme de décision par une tierce partie, à l’instar d’une procédure judiciaire. Les avocats, plutôt que les parties, présentent des arguments à une partie qui n’a pas d’intérêt direct dans le résultat. Les décisions sont gagnant-perdant plutôt que gagnant-gagnant, comme c’est le cas lorsque les parties dialoguent, débattent et font des compromis. L’arbitrage est coûteux dans la mesure où, au lieu de consacrer du temps à l’interne, on paie (souvent cher) un avocat externe.
L’arbitrage peut être un bon moyen de régler des différends lorsque certains facteurs sont réunis : un nombre limité de questions en suspens, des questions clairement articulées, des questions au sujet desquelles l’arbitre peut s’appuyer sur des normes claires et objectives, et une partie qui souhaite sauver la face en évitant de faire des concessions sur une question. Ainsi, lorsque les seules questions en litige concernent la compensation (par exemple, des dommages-intérêts pour une perte), les ajustements au coût de la vie et la durée de la convention, l’arbitrage peut être une bonne solution.
L’arbitrage fonctionne moins bien lorsqu’il y a un grand nombre de questions, lorsque les questions sont nouvelles ou propres à un contexte particulier, ou lorsque la question est difficile et exige un compromis. Les questions de gouvernance (qui prend quelle décision, par quel processus et dans quel délai), d’équité (comment ajuster les règles qui imposent de manière systémique des fardeaux à certains mais pas à d’autres) et de responsabilités (qui est responsable de quels types de questions) sont mal adaptées à l’arbitrage parce que les arbitres n’ont pas d’expérience directe des pratiques, des traditions et des valeurs qui doivent être considérées pour résoudre ces questions. En outre, lorsque de nombreuses questions sont en jeu, le temps nécessaire pour arbitrer chaque décision particulière de manière isolée – plutôt que de manière holistique dans le cadre d’une négociation – est long et très coûteux.
Les questions qui opposent McGill à l’AMPD relèvent principalement de ce dernier type d’enjeux : difficiles à résoudre, propres à un contexte donné et sans normes claires. La prise de décision à la faculté est hautement idiosyncratique et comporte un élément historique qui écarte toute norme claire pour un arbitre. Par exemple, la décision concernant le processus à adopter pour que les membres de la faculté aient leur mot à dire dans la sélection du doyen varie considérablement d’une université à l’autre, en fonction de leur contexte particulier. Bon nombre des questions monétaires qui séparent McGill de l’AMPD ont une composante d’équité – par exemple, comment offrir une rémunération qui attire et retient des chercheurs de divers horizons – qui ne se prêtent pas à l’arbitrage. La teneur générale des questions en suspens exige des discussions et des compromis, et non un litige et l’imposition d’un résultat gagnant-perdant par une tierce partie.
Enfin, on ne peut ignorer le contexte dans lequel McGill invoque l’arbitrage. Elle le fait pour retarder la conclusion d’une éventuelle convention collective afin de pouvoir plaider qu’il est impossible de négocier avec un syndicat facultaire. Ce n’est pas de la spéculation : le vice- recteur Fabrice Labeau a présenté cet argument devant le Tribunal administratif du travail pour s’opposer à l’accréditation du syndicat des professeurs de la Faculté des sciences de l’éducation. En affirmant qu’il est impossible de négocier une convention parce qu’elle ne veut tout simplement pas de syndicat, McGill espère obtenir la révocation de l’accréditation de l’AMPD lors d’audiences qui se tiendront en décembre. Céder aux exigences déraisonnables de McGill implique de capituler devant l’arbitraire, à l’opposé des principes qu’elle prône elle-même.
A la lumière de ce qui précède, l’arbitrage dans le contexte des négociations entre l’AMPD et McGill menace plutôt qu’il ne promeut le type de dialogue nécessaire à la construction d’une université florissante. La décision de McGill de recourir à l’arbitrage sape les principes de la liberté académique en tentant de faire taire les voix qui plaident en faveur d’une amélioration de l’environnement académique. L’arbitrage mobilise des ressources financières qui pourraient être affectées à l’amélioration des programmes d’enseignement, des services de soutien aux étudiants et du développement du corps professoral. Un dialogue respectueux, une stabilité et un environnement de travail positif sont essentiels pour maintenir des normes élevées d’enseignement et d’apprentissage. Le recours à l’arbitrage va à l’encontre de ces éléments cruciaux et du type d’institution que McGill prétend être.
Cela dit, les professeurs de droit de McGill veulent à tout prix éviter une grève qui aura inévitablement un impact sur les étudiants. Le 23 août, nous présentons à McGill une dernière offre : abandonnez votre procédure de décertification, intégrez les questions sur lesquelles nous nous sommes mis d’accord et nos propositions de gouvernance dans une convention collective, et nous accepterons l’arbitrage sur les questions monétaires en suspens.